Depuis 2003, le Groupe de Recherches « Les écrits du for privé en France de
la fin du Moyen Age à 1914 » développe une activité
multiforme centrée sur ces textes si particuliers que sont
les « écrits du for privé ». Ils regroupent les livres de
raison, les livres de famille, les diaires, les mémoires,
les autobiographies, les journaux de toute nature (personnel
ou « intime », de voyage, de campagne, de prison…) et, d’une
manière générale, tous les textes produits hors institution
et témoignant d’une prise de parole personnelle d’un
individu, sur lui-même, les siens, sa communauté. Utilisés
par les chercheurs depuis la seconde moitié du XIXe
siècle, les écrits du for privé connaissent un regain
d’intérêt depuis plus d’une vingtaine d’années de la part
des historiens mais aussi des littéraires, des linguistes,
des sociologues, ou encore des ethnologues qui les classent
dans la grande catégorie des « écrits ordinaires ». Le
journal de Gilles de Gouberville, un noble campagnard
normand de la fin du XVIe siècle, ou celui du
maître vitrier parisien, Jacques-Louis Ménétra, sont parmi
les exemples les plus connus de ces textes dont il existe,
en réalité, une très grande variété de genres et de formes.
Les annales ou les chroniques urbaines, ou encore les
correspondances peuvent être également rapprochées de ce
type d’écriture, mais bien étudiées par ailleurs, elles
n’entrent pas dans notre champ d’observation.
L’objet du Groupe de Recherches, établi à l’Université de
Paris-Sorbonne et dirigé par Jean-Pierre Bardet et
François-Joseph Ruggiu, est donc de recenser et de décrire
tous les textes appartenant à la grande famille des écrits
du for privé qui se trouvent dans les collections des
archives et des bibliothèques publiques en France. Il a été
aidé dans cette tâche par le CNRS, qui en a fait un de ses
GDR (n°2649, créé en 2003 et renouvelé en 2007),
par la Direction des
Archives de France, qui a accepté de lancer une grande
enquête dans les fonds des Archives Nationales et auprès des
Archives Départementales, et qui a aidé le GDR dans ses
activités, ainsi que par la Bibliothèque nationale de
France. Le CNRS a également créé un poste d’ingénieur
d’études attaché à cette grande enquête aux ramifications
européennes : il est actuellement occupé par Elisabeth
Arnoul, coordinatrice scientifique et technique du Groupe de
Recherche. Notre projet a enfin bénéficié du soutien de
l’Ecole nationale des Chartes, par l’intermédiaire de
Christine Nougaret, et du Comité des Travaux Historiques et
Scientifiques, par l’entremise de Nicole Lemaitre et Jean
Duma.
Le nombre
de textes qui entrent dans le champ de l’enquête se montent
à plusieurs milliers. Ils ne se trouvent généralement pas
dans les grandes séries administratives mais plutôt parmi
les papiers de famille. Beaucoup sont d’ailleurs entrés dans
les collections publiques comme des documents isolés. Le GDR
a déjà participé à la mise en ligne sur le site de la
Direction des Archives de France d’une première base de
données signalant et décrivant succinctement les textes
conservés dans les Archives Départementales. Une deuxième
phase est actuellement en cours qui permet d’aller au-delà
de ce simple référencement et de décrire de manière
détaillée les textes ainsi repérés. Une fiche analytique,
divisée en plusieurs rubriques, a ainsi été élaborée et
longuement testée, et un programme de saisie a été mis en
place dans le cadre d’un projet de l’Agence Nationale de la
Recherche, dirigé par Jean-Pierre Bardet, et qui réunit,
avec l’Université de Paris-Sorbonne, les Universités de
Picardie (S. Beauvalet), de Grenoble 2 (René Favier), de
Limoges (Michel Cassan), de Nancy 2 (Philippe Martin) et de
Toulouse 2-Le Mirail (Sylvie Mouysset). Les textes conservés
à la Bibliothèque nationale de France, dans les
bibliothèques municipales, dans les bibliothèques des
sociétés savantes entrent également dans le champ de
l’enquête qui ne néglige pas non plus les écrits encore en
mains privées.
Le Groupe
de Recherches soutient par ailleurs la recherche sur les
écrits du for privé. La création d’une base de données a, en
effet, pour finalité d’offrir aux chercheurs la possibilité
de dépasser l’étude d’un ou de quelques textes exceptionnels
et de les inciter à passer à une analyse sérielle des écrits
du for privé. Plusieurs colloques ont été organisés dans cet
esprit, à Paris (Au plus près du secret des cœurs ?
Nouvelles lectures historiques des écrits du for privé en
Europe du XVIe au XVIIIe siècle,
Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2005), à
Limoges (Les écrits du for privé. Objets matériels,
objets édités, Limoges, Presses de l’Université de
Limoges, 2007), à nouveau à Paris (2006) et, enfin, à
Conques (2008). Le Groupe de Recherche aide également à
l’édition d’écrits inédits et d’ouvrages scientifiques et il
a pour ambition d’ouvrir une collection d’éditions
électroniques de textes.
Les écrits
du for privé peuvent être approchés de bien des manières.
Ils sont une source historique qui apporte une masse
considérable d’informations sur la vie ordinaire des
Français de l’Ancien Régime et du XIXe siècle et
qui peuvent être intégrées, entre autres, dans une réflexion
sur l’histoire des économies domestiques, des cultures
matérielles, de la santé et du corps, de la famille et des
relations sociales. Les spécialistes de l‘histoire des
sentiments, des émotions ou de la construction de soi, qui
est un champ actuellement en plein essor, autour des
notions d’identité ou d’intime, y trouvent un matériel
abondant. Les écrits du for privé sont également des textes,
et des discours, qui témoignent de la circulation de modèles
et de la pénétration de la culture de l’écrit dans des
groupes très diversifiés de la société française y compris
dans les milieux les plus modestes. Ils sont, enfin, des
objets matériels – livres, registres, carnets, feuilles
sommairement reliées… – qui étaient parfois ornés de
dessins, de signatures. Ils connaissaient des usages très
différents selon les lieux, les milieux et les
circonstances. Ils pouvaient ainsi être cachés au plus
profond d’une armoire par un scripteur jaloux des
informations, voire des secrets qu’il consignait, ou des
sentiments qu’il révélait ; ils pouvaient être transmis de
père en fils comme les livres d’enregistrement des actes
fondamentaux de la vie d’une famille ; ils pouvaient, enfin,
être plus accessibles lorsqu’ils prenaient la forme de
livres de dépenses et de recettes entrecoupés de réflexions
personnelles ou de récits de la vie familiale.
Depuis
2007, le Groupe de Recherches sur les écrits du for privé a
pris pleinement conscience de la dimension européenne de sa
recherche. Plusieurs équipes, en Allemagne, en Italie, aux
Pays-Bas, ou encore en Suisse, s’occupent, elles aussi, de
recenser les textes de ce genre qu’ils soient appelés « egodocuments »,
« libri di famiglia » ou encore « Selbstzeugnisse ». Les
interrogations historiques qu’ils permettent de porter
traversent donc les différentes historiographiques et
appellent à une enquête européenne en cours d’élaboration. |